Louis Lecoin

  • Louis Lecoin naît le 30 septembre 1888 à Saint-Amand-Montrond.
  • Spectateur assidu des défilés régimentaires, il envisage une carrière militaire dès l’âge de 16 ans.
  • Sa conscience politique s’éveille alors qu’il est employé comme jardinier pour un salaire dérisoire.
  • Il devient anarchiste et écrira par la suite dans son journal Liberté [juin 1962] : « Je suis anarchiste depuis 1905 et, si la mort m’emporte bientôt, je vous assure que je mourrai anarchiste. »
  • En 1906, Louis Lecoin participe à un mouvement de grève des jardiniers.
  • Il assiste à un discours de Jean Jaurès (célèbre socialiste) et de Sébastien Faure (célèbre anarchiste).
  • Il est arrêté lors d’une autre grève des jardiniers et condamné à une peine de trois mois de prison. Il se présente à la caserne avec deux mois de retard, craignant d’être contraint à l’exil s’il ne s’enrôle pas, ce qui mettrait fin à ses activités anarchistes.
  • Une grève des cheminots éclate avant la fin de son service et sa compagnie est déployée pour réprimer les grévistes. Louis Lecoin s’y refuse et est emprisonné à Bourges pendant six mois.
  • Il reçoit le soutien du journal de gauche Le Libertaire pour cet acte de conscience.
  • En mars 1912, Louis Lecoin trouve un travail dans le bâtiment.
  • Il rejoint la Fédération communiste anarchiste (FCA).
  • En octobre 1912, il est élu secrétaire et prend part à des activités antimilitaristes.
  • Le 15 octobre 1912, Louis Lecoin est arrêté pour avoir imprimé une affiche incitant à la désertion et dénoncé la conscription.
  • En décembre 1912, il est condamné à 5 ans de prison.
  • Pendant son séjour en prison, Louis Lecoin apprend la dissolution de la FCA ; ses modèles du mouvement anarchiste se déchirent sur la stratégie à adopter. Le mouvement anarchiste est en train de s’effondrer.
  • Sébastien Faure cesse d’imprimer des textes pacifistes à la demande du gouvernement.
  • En novembre 1916, Louis Lecoin est libéré de prison et ne répond pas à son ordre de mobilisation.
  • En décembre 1916, il imprime un tract intitulé « Imposons la paix ! » : il est immédiatement arrêté et condamné à un an de prison.
  • Le 12 septembre 1917, il est libéré : il refuse à nouveau d’intégrer son unité.
  • En décembre 1917, il est incarcéré à la prison de Cherche-Midi pour avoir refusé de prendre les armes ; il est envoyé à Poissy, puis au Fort de Bicêtre, où il entame une grève de la faim.
  • Au cours de l’été 1918, Louis Lecoin est envoyé au camp de travail militaire de Monge.
  • En mars 1919, il est transféré au pénitencier d’Albertville.
  • En 1919, le journal Le Libertaire est repris par des amis anarchistes. Derrière les barreaux, Louis Lecoin écrit des articles sous un pseudonyme.
  • Le journal mène une campagne pour libérer Louis Lecoin d’Albertville. En octobre 1920, Louis Lecoin écrit une lettre utilisée par la défense d’Alphonse Barbé dans son procès pour désertion ; la défense d’Alphonse Barbé s’appuie sur le « cas de conscience ».
  • En novembre 1920, il est libéré après huit ans en prison.
  • Louis Lecoin continue à œuvrer en tant que personnalité et militant anarchiste jusqu’à la fin de sa vie.
  • Le 11 décembre 1963, l’objection de conscience est reconnue légalement en France.
  • Louis Lecoin meurt en juin 1971.

 


 

Source : Sylvain Garel, Louis Lecoin et le mouvement anarchiste, Fresnes, Volonté anarchiste (1982).

Lettre envoyée par Lecoin au gouverneur militaire en septembre 1917, expliquant son refus d’être conscrit :

« Au gouverneur militaire de Paris,

Je pense fermement qu’un homme peut et doit se refuser à en assassiner d’autres. La guerre fomentée par le capitalisme mondial est le pire des forfaits perpétués à l’égard des classes laborieuses. Je proteste contre elle en ne répondant pas à l’ordre de mobilisation. 

En n’obéissant pas aux injonctions de la soldatesque, en refusant de me laisser militariser, j’agis conformément à mon idéal anarchiste. Je suis logique avec mes idées et reste d’accord avec mon cœur qui souffre au spectacle de ces laideurs, et avec ma conscience qui s’indigne de ce que des individus accumulent tant de misères.

Louis Lecoin » 

 

Déclaration au tribunal de guerre en 1917 : 

« Ma présence sur ces bancs, la raison qui m’y amène indiquent mon horreur de la guerre et ma réprobation pour les gouvernants de France, responsables, au même titre que ceux des autres pays belligérants, de ce massacre d’humains et coupables de le prolonger.

Pour la lutte sociale, pour le combat qui délivrera les masses laborieuses de l’oppression capitaliste, mes préférences sont acquises aux méthodes révolutionnaires et d’action directe. »         

Extraits de son autobiographie auto-éditée, De Prison en prison (1947)

Arrestation

Un adjudant déboucha d’un bureau attenant. Il m’interrogea :

– Pourquoi êtes-vous là ?

– Pour refus de prendre part à la guerre.

– Voyou ! Canaille ! Lâche !

– Pas plus que vous, moins même.

[…]

– Qu’on le mette tout nu et au mitard !

On me laisse là-dedans plusieurs jours. J’arpentais mon réduit, m’asseyant à même le plancher quand j’étais las de marcher.

[…] Le soir même, je fus conduit dans le bureau de l’adjudant.

[…] Il admettait qu’en raison de mes opinions on ne le laissât point communiquer avec les autres détenus […]. Il donna des ordres afin que je fusse traité le moins inhumainement possible.

[…] J’allais revendiquer devant un tribunal militaire le droit de n’être pas soldat ; le droit de dire non à la guerre, même en temps de guerre, surtout en temps de guerre.

 

Après le tribunal militaire, Lecoin est écroué en prison centrale (plutôt qu’en prison militaire).

Un coiffeur nous abat les moustaches, nous tond le crâne. Et nous devons nous déshabiller. Des gardiens nous examinent minutieusement. Oh ! ce n’est pas que notre état de santé physique les intéresse. Nous ouvrons la bouche ; levons les bras pour montrer que nous ne cachons rien sous les aisselles. Ils explorent toutes les cavités. Nous sommes même invités à leur tourner le dos, nous baisser et… tousser fort.

Pauvre dignité d’homme ! Tu n’es déjà plus qu’un souvenir.

[…]

Adieu à tout ce qui nous rattachait encore à la vie civile : nos habits, des lettres, une photographie. Un paquet de tous ces objets nous sera remis dans un an ou dans dix. […] Je passe au greffe où j’apprends qu’il est prélevé une certaine somme sur mon avoir pour la « masse noire ». C’est-à-dire que nous payons, à l’avance, notre cercueil.

– Lecoin ! Ah, Lecoin ! Tenez-vous bien, c’est tout ce que j’ai à vous dire, si vous ne voulez pas vous en aller d’ici les pieds devant !

Je suis affecté à l’atelier des brosses et je commence mon apprentissage. Défense absolue de parler. […] Les surveillants nous palpent. […] Les gifles s’abattent sans rime ni raison, pour rien, pour le plaisir […]. Si le détenu chancelle sous le coup, une autre gifle le redresse. J’ai senti souvent de grosses larmes me couler le long des joues, à pareil spectacle.

 

Les amis de Lecoin font appel en son nom et il est transféré au fort de Bicêtre, dans la prison militaire du Cherche-Midi.

Je n’allais tout de même pas y passer mon existence. […] Je pris le parti de faire grève de la faim. […] J’en étais au sixième jour  – j’avais reçu plusieurs fois la visite de l’adjudant que ma détermination paraissait embêter.

 

Été 1918

La « grippe espagnole » – cette maladie mystérieuse qui, au cours de l’été 1918, grossit le charnier de la guerre  – sévit […] dans notre camp. […] La mort vainquit les moins résistants.

Un matin, je me réveillai avec mes deux voisins décédés à mes côtés. La veille, couchés dans la même paille, nous avions parlé un peu  – pour nous rassurer mutuellement.

[…] L’hiver précoce nous recroquevillait comme de vieilles gens. Et un jour, l’énergie nous manquant pour braver et éloigner le froid de nos membres, la nouvelle de l’armistice parvint à la carrière. Je ne me demandais pas si je touchais au terme de mes propres misères, je pensai que le malheur du monde prenait fin et j’en fus heureux infiniment pour tous ceux qu’on ne tuerait plus.