Steve Cottam

Extraits d’un entretien avec Steve Cottam, ancien parachutiste de l’armée de l’air et membre des forces d’opérations spéciales de l’armée britannique en Afghanistan.

Steve Cottam, photo while serving in Afghanistan

Crédit photo : Steve Cottam.

Effets néfastes de la guerre

C’est vrai qu’on vit dans un chouette monde moderne en ce moment. Tout le monde est beau et gentil. Vous vous faites une tasse de thé le matin, avec une tartine, et puis vous partez au travail. La guerre, ce n’est pas ça. Votre travail, c’est la destruction de l’ennemi. C’est presque comme revenir à l’époque médiévale, lorsque la vie n’avait aucune valeur. Et je crois qu’à force, on perd un peu le nord et on change. On ne peut pas revenir en arrière et se faire une tasse de thé le matin. Ça n’est pas suffisant. Il faut un peu plus de contrôle, j’imagine. Et vous auriez certainement raison d’en profiter pour remettre tout ça en question, mais ça demande du courage.

Voilà les dégâts causés, la guerre nous rend un peu dépendants, presque comme une drogue, j’imagine.
Ma femme me disait qu’elle ne voulait pas que j’y retourne, elle ne me croyait pas assez stable psychologiquement pour y retourner. Et je lui répondais que je n’étais pas assez stable psychologiquement pour rester. Je devais y retourner.

Opérations d’infiltration

J’étais spécialiste du renseignement secret. Donc, mon travail consistait à partir en Afghanistan clandestinement et à recueillir des renseignements. C’était la principale mission à l’époque.

[On nous mettait] des cheveux longs, de grosses barbes, du maquillage et des lentilles. Et bien sûr des vêtements traditionnels, des voitures traditionnelles, etc. C’était notre travail. Et c’était génial. Quelque chose de vraiment… excitant, à vrai dire. On n’avait pas d’Aston Martin, mais c’était un beau métier. Mais on pouvait se mettre sacrément dans la merde. Et si c’était le cas, on était extrêmement vulnérables parce qu’on était peu nombreux. On opérait dans des équipes très réduites.

Vie de militaire

Quand on est militaire, on n’a pas de vue d’ensemble. On n’a aucune idée de ce qui se passe, pour être honnête. On vous dit simplement d’obéir.

Je me portais toujours volontaire. Je disais : « Bon, je pars avec les gars pour tâter l’atmosphère. » L’« atmosphère », c’était le mot qui m’envoyait sur le terrain à l’époque… Pour que je puisse me battre un peu.

Ça veut dire… ce qui se passe sur le terrain, en gros.

Terrain

Il faut garder son calme quand le chaos règne, mais… on était des cibles faciles ; les [talibans] maîtrisaient complètement la situation… Pardon, j’en frissonne. Je ne sais pas pourquoi, mais j’en frissonne…

C’était probablement la première fois que je me suis dit « Je ne veux pas être ici » ; je me chiais dessus. Vous savez, les gars auxquels j’étais rattaché n’étaient que des gosses, c’est vrai, rien que des gosses malingres. Et vous les regardez se faire exterminer, disons-le. J’ai vu un gosse de dix-neuf ans faire une pause contre un mur d’enceinte dans lequel il y avait un engin explosif. Il faut être la personne la plus malchanceuse au monde pour que ça vous arrive, et il s’est fait dézinguer. Une chaleur écrasante, du genre quarante degrés, il avait combattu toute la journée et il voulait juste un moment de répit. Et c’est justement ce moment de répit qui l’a tué. Et là, ça m’a envahi, je me suis dit que c’était vraiment atroce. Que si l’enfer existait, je voulais y aller pour me reposer parce qu’ici, c’était un vrai désastre.

… On commence peu à peu à se mettre à la place de l’ennemi. Parce que c’est cauchemardesque. Par exemple, quand tout le monde est là en début de journée, et qu’à la fin, quatre personnes sont mortes et seize manquent à l’appel. On se demande ce qui s’est passé. On doit tout remettre en question. On doit remettre en question ses propres actions.

Paranoïa

Lorsque je suis revenu de mon deuxième service, j’étais complètement paranoïaque à la maison. Je posais des pièges, j’ai fait installer des caméras… Je ne savais pas qui allait se pointer. Ma femme me demandait ce que je faisais et j’essayais d’attendre une seconde avant de répondre, parce que c’est ce qu’il faut faire. J’imagine que ça a à voir avec la capacité à réagir à la menace, mais ce n’est pas sain. J’ai servi pendant seize ans, j’aurais dû en servir vingt-deux, mais l’armée a décrété que ce n’était pas possible à cause de ma santé mentale.

Syndrome de stress post-traumatique

Une agressivité ridicule… Beaucoup d’alcool, pour tout vous dire, une profonde dépression, de l’anxiété, de la paranoïa, et puis… le manque de sommeil, qui ne fait qu’aggraver la situation. Vous savez, quand vous êtes insomniaque, tout est multiplié par peut-être cent. Et je crois que le pire, c’est d’être considéré comme un militaire ayant un problème de comportement, j’imagine que c’est comme ça que les gens le perçoivent. C’est ma femme qui m’a dit : « Va voir quelqu’un pour en parler parce que t’es cinglé. » Elle m’a dit ça sans prendre de gants parce qu’elle sait que c’est ce dont j’ai besoin, pour tout vous dire.

Je l’ai ignorée pendant longtemps et, un jour, un ami qui était dans les opérations d’infiltration avec moi m’a dit : « Mon gars, il faut que tu ailles voir quelqu’un. » Et c’est bizarre… J’ai écouté cet ami avec qui j’ai fait l’armée plutôt que ma femme, étrangement, parce que je me disais : « Mais qu’est-ce qu’elle en sait ? » Et voilà, ce qui s’est passé, c’est que je suis allé voir quelqu’un, et puis l’armée m’a dit : « Merci pour votre contribution. »

J’ai été diagnostiqué en 2014. C’est irréversible et ça fera toujours partie de moi, d’une façon ou d’une autre, et je crois que c’est normal. Ça ne vous empêche pas de faire votre travail, à vrai dire ; ça ne m’empêcherait pas d’être un bon militaire. Ça m’empêcherait peut-être d’être un bon mari et un membre apprécié de la communauté, mais ça ne m’empêcherait pas de faire mon travail. Vous êtes de trop maintenant, vous ne pouvez pas faire ci, vous ne pouvez pas faire ça, nous allons devoir vous retirer vos armes parce qu’on ne sait pas ce que vous allez faire.

J’ai suivi une thérapie, plusieurs même, j’ai pris des médicaments, et j’en prends encore. J’en avais vraiment honte. En fait, ça ne fait pas très longtemps que je commence à en parler quand on me pose la question. Je ne le crie pas sur tous les toits… Avant, je disais que je venais de quitter l’armée, que j’en avais assez, que j’étais parti. Je ne [disais] jamais que j’étais parti à cause de mon stress post-traumatique, j’en avais honte et c’est encore très mal vu aujourd’hui. Mais il faut aller de l’avant, pas vrai ?

Anarchie

On peut rendre les gens un peu fous, c’est vrai. Mais je crois que ça fait partie de la nature humaine. On ne peut pas exposer des êtres humains à ça et s’attendre à ce qu’ils continuent à faire leur travail de façon professionnelle. Et vous allez vous en rendre compte. Ils se laissent aller peu à peu, ils ont les cheveux ridiculement longs, ils arrêtent de se raser, ils laissent pendre leur fourbi négligemment, c’est tout juste s’ils ne déchirent pas leur chemise pour exhiber leurs bras et ils commencent à se rebeller. C’est un comportement dangereux qu’il faut tuer dans l’œuf.

Il y aura toujours une partie de vous qui veut combattre, je crois qu’il y a toujours une bête qui sommeille en vous. Ce qui compte, c’est d’apprendre à la maîtriser.

Campagnes de recrutement de l’armée

L’armée fait tout ce qu’elle peut… De nos jours, elle sort des publicités et des vidéos de recrutement qui mettent en avant la camaraderie, mais ce n’est pas vrai. Ce n’est pas vrai. Dans l’une d’elles, je crois qu’on voit un gars qui pleure dans la jungle en lisant une lettre. Putain, mais vous seriez réduit en charpie.

 


Entretien réalisé le 18 avril 2018 avec Matt Adams à l’Imperial War Museum de Londres. Transcription : Abby Middleton